Le 28 mars dernier, Mirza-Hélène Deneuve s’est donné la mort.
Nombre d’hommages ont déjà été écrits et circulent sur les réseaux sociaux ; il nous semble cependant important que nous, membres actuelles ou historiques de Transgrrrls, lui en dédiions un nouveau.
C’est Mirza en effet qui a créé le blog Transgrrrls et le collectif du même nom à l’été 2018. Constatant qu’il y avait alors peu de ressources en français à propos des enjeux politiques relatifs aux transféminités, elle avait pour ambition de produire celles-ci, que ce soit en traduisant des textes d’autres ou en en écrivant les siens propres. Aussi s’est-elle mise à la tâche au cours des deux ans qui ont suivi, et de signer plus de la moitié des articles du blog de ses différents pseudonymes : Soeur Mirza-Hélène, Mirza D., Ernest, Mahleneriez, Jules.
Créatrice et contributrice principale du blog, présente dans les manifs comme sur tous les stands de zines des évènements auxquels on nous invitait, Mirza était Transgrrrls. Avec elle partie, définitivement, c’est une page du blog qui se tourne.
Au-delà du blog, ce sont des mots, des idées, des énergies radicales qui continuent à traverser aujourd’hui les milieux transféministes, matérialistes et transpédégouines. Tandis que les fioles d’œstradiol liquide circulent de plus en plus, Baiser des meufs trans est partagé avec entrain aussi bien dans les squats que dans les centres de planning familial et les centres LGBTI ; certaines pancartes en manif reprennent Andrea Dworkin. Bientôt, on lira Minnie Bruce Pratt en français.
En attendant, relisons ensemble ce poème de Kai Cheng Thom que Mirza avait traduit en 2020 et qui reste tristement pertinent :
tu sais, fem,
des fois je t’en veux tellement d’être morte,
je pourrais te maudire / je pourrais pleurnicher,
je pourrais écrire ton nom sur mes bras, avec du feu et des lames,
si ça voulait dire que tu reviendrais pour m’empêcher de me faire du mal
(est-il possible que la poésie de l’automutilation, de l’auto-effacement, du sacrifice et du martyr
soit le seul langage que nous ayons réellement partagé)
je sais que c’est égoïste / je m’en fous / est-ce que tu as pensé à moi ?
et au monde des autres meufs trans que tu as laissées en rase campagne
quand tu as rejoint
le Chœur Éternel des Meufs Trans Tristes dans le Ciel ? tu fais chier,
j’avais besoin de toi ici, tes pieds dans la poussière
avec nous / j’avais besoin de ton souffle, pour me souvenir de combien / j’avais besoin de ta rage de ton art de ton extase de ta violente sagesse
j’avais besoin de ta survie pour assurer la mienne,
j’avais besoin d’une sœur de chair et d’os, quelqu’une qui me vernirait les ongles et m’engueulerait
pas d’une Ancêtre Spirituelle Morte à poétiser /
merde à la poésie, si elle ne nous garde pas en vie,
merde à l’art et aux histoires, si
tout ça n’est rien d’autre qu’une chambre d’échos nous rappelant sans cesse
que nous allons mourir,
je suis fatiguée du langage du deuil
et je suis fatiguée d’être en colère,
c’est comme si tout ce que je pouvais faire c’était partager ces sentiments & recevoir des likes,
je peux parler et parler encore et tous ces mots ne peuvent sauver personne,
que quelqu’une / n’importe qui me chante une chanson d’espoir et de vie
que quelqu’une / n’importe qui,
m’enseigne l’art de la résurrection,
je ne cesse de rencontrer des fems seulement après leur mort,
comme un personnage de contes de fée qui suivrait une piste faite de
chairs et d’os
que quelqu’une me sauve de (ton)/notre héritage, de cette route pavée
de paillettes et de mort,
s’il vous plaît, que quelqu’une me sauve
comme je ne t’ai pas sauvée