Chatte

Texte original de Gwen Benaway, disponible ici.
Traduit par Soeur Mahleneriez, relecture par Soeur Élise.

« …et quand nous touchons, nous entrons pleinement dans le toucher.
Personne n’est seule. Les hommes tuent pour cela, ou pour s’en approcher. »
—Anne Sexton, the truth the dead know

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Photo d’Andre Benz via Unsplash

Les filles trans ont recours à des opérations pour de nombreuses raisons. Les gens pensent souvent à nos chirurgies comme à des expériences horribles qui séparent votre vie en morceaux, mais elles peuvent également être des moments où l’on donne naissance à un autre monde. Il est possible d’avoir simultanément deux pensées différentes dans sa tête. On peut dire c’est dur et je suis tellement heureuse maintenant au même instant, sans que l’une des deux phrases soit fausse. Certaines des raisons pour lesquelles les filles trans décident de recourir à des opérations ont plus de sens pour telles personnes plutôt que d’autres, mais elles sont toutes légitimes, car nous le sommes toutes.

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La première personne qui a touché mon vagin était une doctoresse. Je venais tout juste de rentrer à Toronto après mon opération. Allongée sur la table d’examen, mes jambes dans les étriers, la doctoresse explorait mon corps et ses changements. Je fixais le plafond pendant qu’elle tapotait et sondait mon vagin convalescent. Soudain, je sentis quelque chose que je n’avais jamais senti auparavant.

Ça faisait un peu mal, mais c’était aussi agréable. Normalement, quand quelqu’unE touche mon corps, je peux vaguement dire où on me touche grâce aux sensations. Mais cette fois, je n’avais aucune idée d’où était la main de la doctoresse. C’était comme si une partie de moi, totalement déconnectée et flottant loin de mon corps, était touchée dans un autre monde.

Je demandai à la doctoresse où était sa main. Sa réponse fut confuse et hésitante.

« Oh, j’ai juste touché l’intérieur de votre vagin. » Elle plaça sa main sur ma jambe nue et me regarda dans les yeux. « Tout va bien ? »

Je hochai la tête dans sa direction, peu sûre de la façon de décrire ce que je ressentais. L’explication médicale consiste à dire que mon cerveau n’avait pas encore cartographié les nerfs de mon vagin dans son image mentale de mon corps, laissant mon système nerveux incapable d’identifier mon vagin comme une partie de moi-même. C’était comme si mon vagin émergeait doucement, à travers le temps et l’espace, pour arriver à mon corps et que la doctoresse touchait une partie de moi-même qui n’existait pas encore. Comme si mon vagin était un « autre lieu », un endroit vers lequel mon corps se dirigeait mais ne pouvait pas encore imaginer.

Cela m’a pris quatre mois après l’opération pour toucher mon clitoris. J’avais peur de le casser. Après le traumatisme de l’opération et le processus incessant de convalescence, c’était difficile d’avoir envie de sexe. C’était encore plus compliqué d’imaginer que ma chatte puisse me donner du plaisir après m’avoir fait subir autant de douleur. Complètement inexpérimentée pour ce qui est des vagins, je ne savais pas comment me toucher, incertaine de la façon dont mes organes génitaux fonctionnaient après ces changements.

Je finis par y arriver. Après vingt minutes de débat intérieur et m’être lavée les mains trois fois, j’ai touché la petite bosse dure au-dessus de mon vagin. Ça avait l’air d’aller. Humide de mes sécrétions vaginales et encore en train de cicatriser, mon clito était coincé entre une douleur sensible et une plaisante frénésie. J’explorai ma vulve. Mes lèvres étaient douces et accueillantes, un doux arc qui désirait qu’on le touche. L’entrée de mon vagin était terrifiante mais quand, enfin, je glissai mes doigts à l’intérieur, je découvris que ma chatte était chaude et remplie de sensations pour lesquelles je n’avais pas de langage.

J’essayai des vibros, la pénétration, et le massage du clito. J’ai appris que je pouvais jouir par pénétration, mais que c’était une sensation différente de quand je jouissais en touchant mon clito. Le plaisir que je pouvais me donner était toujours meilleur que celui que je recevais d’un sextoy ou de mes dilatateurs. Mes orgasmes se développèrent avec le temps. Au début, les orgasmes faisaient mal, et mes muscles étaient pris de spasmes. Avec l’avancée de ma guérison, je réalisai que je pouvais contrôler mes muscles vaginaux et rendre mes orgasmes plus puissants si je m’entraînais. Ça m’a pris des mois, mais j’ai finalement pris l’habitude de me masturber la chatte.

J’ai reçu de l’aide. Il y a eu ce mec avec qui j’ai couché pendant cinq mois après mon opération. C’était un inconnu que j’avais rencontré sur OkCupid. J’ai perdu ma « virginité » post-chirurgie avec lui. Il était beau et charmant, mais, surtout, il était gentil avec moi. J’avais peur de laisser un mec me lécher, parce que ça voulait dire ouvrir ma chatte à l’exploration et laisser quelqu’un s’approcher le plus possible de la source de toute mon anxiété. Ses attentions pour moi et mon genre m’ont aidée à trouver plus de courage pour commencer à explorer ma chatte. Il était allongé entre mes cuisses, sa bouche sur mon clito tandis que je m’agrippais à ses bras tendus, et, tout doucement, il me fit jouir. J’ai tellement joui avec lui, en baisant pendant des heures alors que le printemps arrivait et devenait peu à peu l’été.

Il me disait que j’étais magnifique mais que je ne le remarquais pas. Il trouvait que ce manque de conscience de soi était ce que j’avais de plus sexy. C’est marrant, blagua-t-il après m’avoir bouffée, tu es super intelligente et pourtant tu n’as aucune idée de ce que tu es. J’ai trouvé cette boutade mignonne, mais je me suis toujours demandée pourquoi mon insécurité chronique était plus sexy que si j’avais eu confiance en moi. Je pense que c’était parce qu’il arrivait toujours à faire ma conquête, utilisant sa bite et sa bouche pour faire émerger mon désir et me baisant jusqu’à ce que je gémisse et lui demande de continuer. Les mecs aiment les conquêtes difficiles.

J’ai arrêté de répondre à ses messages en septembre. Ce n’était pas parce qu’on ne passait pas du bon temps ensemble. Il me serrait contre lui toute la nuit, ses bras entourés autour de ma taille, et disparaissait ensuite doucement le matin. Une fois, j’ai réalisé à un moment que je ne voulais pas avoir de sexe pénétratif trop longtemps, et j’ai donc dû lui demander de se retirer au beau milieu d’un rapport. Il l’a fait sans problème et sans se plaindre, ce qui est à mon sens beaucoup plus rare qu’on ne le croit généralement chez les hommes. S’il était trop brutal ou s’il me faisait plus mal que je ne le voulais, il s’arrêtait d’un coup et me demandait si ça allait. C’était un mec bien, meilleur que la plupart des partenaires masculins que j’ai eu.

Je suppose que j’avais l’impression d’avoir découvert ce dont j’avais besoin à propos de ma chatte. Lui ne serait pas sorti publiquement avec une fille trans, à cause de ce que les gens aurait bien pu penser. Il n’a jamais été transphobe avec moi, mais il savait comment son entourage verrait cette relation. Il était censé épouser une fille cis, pas baiser avec un travelo, et je comprenais sa logique. Je ne suis pas d’avis que toutes les relations devraient être publiques pour avoir du sens, mais j’avais passé ma vie post-transition piégée dans des relations intimes cachées. Alors un jour, sans aucune provocation, je l’ai ghosté.

Il a essayé de m’envoyer des messages deux trois fois après ça, mais je n’ai pas répondu. En y repensant, j’aurais dû lui expliquer que ce que je voulais avait changé, mais je ne suis pas toujours à la hauteur de mes propres exigences. Il a accepté mon silence avec dignité. Cela n’a jamais été à propos de lui et moi de toute façon. Il s’agissait de moi et de ma chatte, de la découverte de mes plaisirs et désirs post-chirurgie, d’une mauvaise rupture, et de la honte destructrice d’être un travelo.

Je me rappelle de lui me disant que ma chatte était un don. Sa théorie était que la chatte de chaque femme reflète de façon unique son désir et son plaisir. Nos chattes deviennent plus puissantes avec l’âge. En fin de compte, en apprenant à faire confiance à notre plaisir et en célébrant nos forces uniques en tant que femmes, nous pourrions libérer notre potentiel érotique. Ça ressemble à un cours magistral New Age sur la chatte et ses usages, mais j’apprécie cette philosophie malgré ses affirmations profondément essentialisantes et problématiques.

Il était sincère dans sa conviction que les femmes et leurs chattes sont puissantes. Ce n’était pas là le fruit d’un quelconque atelier de théorie féministe ou de justice sociale auquel il aurait participé. Juste, ill couchait avec des femmes depuis qu’il avait quatorze ans et avait inventé ces conneries tout seul. Peu importe si ça a plutôt servi ses désirs que les miens, ça m’a aidé à me rappeler que ma chatte est à moi. Je n’avais pas à dire ou à croire quoi que ce soit à ce sujet que je n’aurais pas voulu.

Je pouvais me masturber dans les ténèbres de ma chambre, et oublier tout ce qui avait pu se passer avant cet instant. Oublier que ma chatte a été « fabriquée » par un chirurgien. Je pouvais être plus qu’un travelo. Je pouvais me sentir bien et jouir sans avoir besoin de me justifier de quoi que ce soit Tout le plaisir que j’avais toujours attendu de la vie était là entre mes jambes, gonflant doucement sous la pulpe de mes doigts.

Pour réécrire mon vers favori d’Anne Sexton : « Et quand je jouis, je jouis pleinement. Personne n’est laissé à l’écart. Des femmes tuent pour cela, ou pour s’en approcher. »

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Une éminente femme trans, Andrea Long Chu, a récemment écrit un article d’opinion pour le New York Times sur sa transition et sa prochaine opération de confirmation de genre. J’ai trouvé son texte difficile, en particulier, mais pas que, à cause de sa description des chattes de meufs trans post-opération comme des « blessures » dont nos corps ne pourraient jamais guérir. Une lecture généreuse de son texte suggérerait qu’elle parle uniquement de son corps et de ses spécificités, mais les corps de femmes trans ne nous appartiennent jamais entièrement. Comme la plupart des objets rhétoriques et symboliques, les corps des femmes trans sont toujours propices à des débats dans l’espace public. Que Chu fasse une seule remarque négative sur ce qu’elle imagine de son corps post-chirurgie, cela suffit pour devenir un commentaire sur tous nos corps post-chirurgie, quoi qu’elle en pense.

Théoricienne et universitaire tout autant qu’écrivaine, la relation de Chu à son corps est certainement influencé par sa relation avec la théorie. Beaucoup de pairs considèrent Chu comme une penseuse provocante, quelqu’une qui théorise sans relâche ce que veut dire être une femme trans d’une manière qui a souvent l’air d’être en conflit avec le discours trans « dominant ». Elle a été décrite comme la « théorie trans 2.0 », au point de devenir presque une légende urbaine sur internet en raison de sa stupéfiante démolition du nouveau récit autobiographique de Jillly Solloway et son essai très largement partagé sur le désir.

Il y a eu beaucoup de critiques du texte de Chu dans le New York Times. Beaucoup aussi de défenses passionnées. Je ne veux pas résumer les arguments pour et contre le texte de Chu dans le New York Times parce que cela ne m’intéresse pas de savoir si elle a raison ou si elle a tort. Son écriture est à elle, et peu importe ce que je pense de la vérité de ses affirmations. Il est important de reconnaître que chaque femme trans a sa propre relation à son corps – une relation qui n’a besoin de l’approbation de personne pour s’exprimer.

Je comprends l’argument qu’Andrea Long Chu défend dans son article. Elle explique que les transitions ne donnent pas de bons résultats parce que le but idéal de la transition est impossible à atteindre. Pour Chu, l’idéal serait d’être une femme cis, et comme nous ne serons jamais cis, n’importe quel autre résultat auquel pourraient conduire nos transitions est négatif. En fait, à s’en tenir à l’auto-analyse de Chu, elle n’est pas heureuse avec sa transition et elle pense qu’un nouveau vagin ne va pas l’aider. Elle se fonde sur cet argument pour dire que les personnes trans ne devraient pas avoir à prouver que des chirurgies ou même la transition en général vont nous rendre heureusEs pour que nous puissions accéder à l’infrastructure médicale qui va avec.

Cette mise en récit de son opération, de ses transitions, et de son vagin post-chirurgie est profondément problématique car beaucoup de femmes trans – dont moi-même – ont le sentiment que nous vivons avec les bons résultats de notre transition, pourtant, sa conclusion finale – qui affirme que les personnes trans devraient avoir accès aux opérations juste parce que nous en avons envie – a un charmant attrait néolibéral. Nous attendons beaucoup des femmes trans dans l’espace public, souvent bien plus que ce que n’importe quel court texte de réflexion peut décrire, et je me méfie de placer autant d’attentes sur une autre femme trans.

Je veux être généreuse avec ce que je dis. Cet essai n’est pas une réfutation du sien. C’est, en partie, une réponse à ses mots, mais j’ai l’intention que ce soit aussi plus que cela. En tant que femme, on attend souvent de moi que je fasse du travail émotionnel et que je partage mon corps avec le monde pour le rendre meilleur. On demande toujours aux femmes de faire les choses les plus difficiles – le courageux et dangereux travail d’habiter la vulnérabilité – afin de rendre la vie plus facile aux autres. Nous sommes entraînées depuis la naissance à faire ce travail sans poser de question, sans compensation. Après que l’article d’opinion de Chu a été diffusé sur les réseaux sociaux, moi-même et d’autres femmes trans avons été obligées de fournir des récits divergents de nos opérations et de nos transitions pour contextualiser ses affirmations auprès du public cis.

Prenant en compte l’injustice qui m’enjoint de faire ce travail, je veux tout de même parler de ma chatte. Je veux parler de ma chatte parce que ça me fout en colère de voir mon vagin décrit comme une blessure sans fin dans une publication nationale. Je veux parler de ma chatte parce que je pense que c’est utile pour comprendre le problème que cause le fait d’attendre de n’importe quelle partie de ton corps qu’elle te rende heureuse. Je veux que d’autres filles trans qui pensent à l’opération puissent lire un autre récit qui les aide à prendre une décision aussi cruciale. En même temps, il est important de reconnaître que la seule raison pour laquelle nous avons cette discussion en public est qu’il s’agit de femmes trans. Nos corps – et en particulier nos organes génitaux – sont forcés de faire le travail de justification de nos vies.

Personne ne demanderait à un mec cis d’écrire un essai de 1200 mots sur le fait que sa bite le rende ou non heureux. Au delà du fait que nous avons une pléthore infinie de productions sur les sentiments et les bites des hommes, on ne demande pas à leurs queues de justifier leur entière personnalité. Pourtant, les organes génitaux des femmes trans – post, pré, ou non opérées – sont toujours présentés comme de sérieux problèmes qu’il faudrait craindre, fétichiser, surmonter ou changer. Si le public cis cherche une femme trans capable de faire une déclaration controversée en public, en voilà une de ma part :

Ma chatte n’est pas si importante. Ce n’est certainement pas une plaie qui ne guérira jamais, malgré tout ce que cette tournure a de poétiquement transphobe. Elle est importante pour moi, mais ma chatte n’est pas plus importante que n’importe quelle autre partie de mon corps. Il y a un problème lorsque nous, femmes trans, sommes forcées de transformer nos chattes en objets d’enquête critique pour valider, prouver ou défendre nos transitions et nos vies. Que nous soyons pré-op, post-op, ou non-op, nos corps ne sont pas des abstractions théoriques que vous pouvez utiliser pour prouver un argument.

Andrea Long Chu est entraînée à défendre des arguments, mais il y a plus dans le fait d’être trans que de la théorie. L’utilisation de la théorie pour rendre compte de soi est réconfortant car cela promet des certitudes. Tu peux rationaliser ton histoire en un super paradigme où tout le monde a tort et où toi seule voit la vérité. Il y a un instinct qui pousse à expliquer l’être-fille-trans aux cis parce que cela te rassure d’avoir une justification sur le pourquoi de ton existence. Étant donné qu’une partie du fait d’être une fille trans consiste à se sentir souvent extrêmement mal à l’aise dans son corps, il devient important de disposer d’ histoires à propos de toi qui affirment de façon basique ton humanité.

Être une femme trans signifie souvent qu’une bonne partie du monde te hait ouvertement et essaiera de te déshumaniser dès qu’elle en trouvera l’occasion. Tu es forcée, presque littéralement, de donner des descriptions parfaites de toi-même pour accéder aux institutions et pour participer à la vie publique. Entre ces extrêmes de malaise et de haine, certaines filles trans se tournent vers la biologie, la théorie ou la politique pour trouver les bonnes réponses. En tant que fille trans, tu sais toujours que tu joues pour une audience, dansant au bord de leur pitié ou de leur mépris. Tu inventes des réponses quand tu n’en as pas, tu remplis les trous, et tu fais le travail de donner un sens à quelque chose qui n’est vécu que depuis l’intérieur de ton corps.

C’est ce que l’on attend de toi, et si tu le fais bien et avec assez d’intelligence, les suzerainEs cis te donnent une récompense. Sois intelligente, mais pas trop. Écris un essai disant que ta chatte est une plaie et que transitionner te rend plus triste. Dis leur ce qu’iels veulent vraiment entendre – mais sois originale, pour que ça sonne neuf. Défie les mais seulement de la manière dont iels veulent être défiéEs. Encourage les à s’améliorer mais restes-en au respect des pronoms. Dans l’article d’opinion d’Andrea Long Chu au New York Times, elle n’était ni provocante ni radicale.

Elle a simplement fait exactement ce que les filles trans sont toujours censées faire : s’expliquer pour divertir les personnes cis. Le vrai problème avec l’article de Chu n’est pas qu’elle donne une description non critique et dommageable d’elle-même, mais qu’on lui ait demandé de s’expliquer en premier lieu.

Comme dans toutes les performances, le public et ses attentes racontent la véritable histoire.

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Ma chatte est toujours un problème. Les gens se battent à son sujet sur internet. Des mecs m’envoient des messages sur tinder me demandant si je peux mouiller ou si j’ai des sensations « en bas ». Mes doctœuresses sont perturbéEs par elle, oubliant souvent que j’en ai une ou peu sûrEs des conseils médicaux à me donner. Je ne suis pas très à l’aise pour en parler avec d’autres filles trans parce que je ne veux pas qu’elles se sentent forcées de se faire opérer. J’évite de le mentionner avec d’autres filles trans post-op parce que je ne veux pas les faire se sentir mal si leurs chattes sont différentes de la mienne. Où que je sois, ma chatte est avec moi, et rend tout gênant.

Récemment, je parlais avec une femme cis d’un mec, un plan cul occasionnel que nous voyons toutes les deux. Elle n’a pas arrêté de dire qu’il n’était pas expérimenté pour les trucs « queer », comme si me baiser était le truc le plus gay qu’il pouvait faire, à part défiler à la Marche des Fiertés. Je n’ai pas arrêté de lui dire « J’ai une chatte », mais elle n’avait pas l’air capable de faire le lien. Je ne disais pas ça pour le lui lancer en pleine face. Je lui rappelais juste un fait. Les gentes prennent pour acquis que toutes les filles trans ont une bite, même quand iels savent que nous n’en avons pas.

J’ai l’impression que les gentes pensent à ma bite à chaque fois qu’ iels parlent de ma chatte. Il y a toujours le présupposé d’une masculinité latente chez les femmes trans, comme si nous étions des hommes cisaillés en une forme féminine par le scalpel d’un chirurgien et des hormones. Ma chatte est toujours comprise comme un vestige de ma bite, un reste de blessure, ou une bite inversée. Aucune de ces idées n’a de base médicale. Ça ne reflète pas ma façon de comprendre mon vagin ni la façon dont les autres personnes se comportent avec mon corps. C’est amusant de penser à tout ce que j’ai traversé pour avoir une chatte, pour finalement découvrir de l’autre côté que tout le monde continue à être obsédé par ma bite.

Il y a une misogynie sous-jacente dans la façon dont les gens pensent et parlent des vagins post-op. Beaucoup pensent à tort que les bites sont incroyables et que tout ce qui n’est pas la bite d’un mec cis est à un niveau inférieur de de plaisir, de fonction et de valeur. En tant que personne ayant eu une bite et ne l’ayant jamais appréciée, je trouve ça étrange que les gens imaginent mon opération comme une mutilation. Ils ne peuvent pas imaginer d’autres possibilités joyeuses dans la vie au-delà de la masculinité, comme si la féminité n’était qu’une altération cosmétique inutile dont on ne peut que souffrir à l’infini. Le fait que tout le monde soit prisE dans les images théoriques et rhétoriques de femmes trans post-op, pétrifiéEs par des films comme The Danish Girl, n’aide pas.

Il y a une règle implicite contre les femmes trans post-op parlant de leur chatte en public. Quand le monde extérieur est obsédé par tes organes génitaux, une bonne stratégie de défense consiste à ne pas exposer ton corps à davantage de curiosité et de maltraitance. En tant que filles trans post-op, nous savons qu’il n’y a pas qu’une seule expérience de vie en tant que fille trans, et nous nous gardons bien de valider les attentes des personnes cis qui pensent que nous voulons toutes une opération. Écrire sur nos organes génitaux a l’air de faire paniquer tout le monde, et de faire ressortir le pire chez les trans comme chez les cis. Alors qu’il y a tant d’autres violences transphobes dans le monde, pourquoi se focaliser sur cette expérience corporelle spécifique ?

Le fait est que je ne peux pas échapper aux autres personnes quand elles parlent de ma chatte ou y pensent. C’est une partie de ma vie que je ne peux fuir. La seule partie de ma chatte sur laquelle j’ai le moindre contrôle est ma façon d’en parler et d’y penser. J’ai toujours essayé de me tromper en étant prudente, parce j’étais soucieuse de respecter les expériences des autres femmes trans. Parfois, frustrée de l’abstraction,des idées factuellement incorrectes et des discours sur mon corps, j’ai envie de tweeter des photos de ma chatte. Je veux zoomer sur mon clito, les lignes roses de ma vulve, et de dire à tout le monde d’aller poliment se faire foutre.

Bon, je ne le fais pas. Je vis avec la déshumanisation et l’ignorance. Je souris dans les comités et je dis trop souvent « merci ». La partie de mon corps qui affirme le plus mon genre n’est pas ma chatte, mais la façon dont je me déplace dans le monde, avec prudence et compromission, alors que tout le monde se précipite sur moi. J’ai souvent l’impression qu’il y a de multiples mondes superposés sur le même paysage physique. Je suis parfois dans le même monde que les personnes cis, momentanément humaine, mais la plupart du temps, je vis dans un ailleurs, un monde pas-si-humain.

Mon passeport dit que mon sexe est féminin. J’ai un panier sous l’évier de ma salle de bain où je garde mes serviettes hygiéniques et le reste de crème Canesten [crème contre les mycoses vaginales, NDLT]. Personne n’a l’air d’être sûrE de savoir si j’ai une chatte ou une plaie, mais tout le monde a une opinion à ce sujet. Je suis une fille, je crois, au moins une partie du temps. Ça me suffit. Après tout, je n’ai pas transitionné pour devenir une « femme ».

J’ai transitionné pour être moi.

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La transphobie n’est pas juste une façon de penser. C’est aussi une façon de faire, une pratique qui donne fréquemment le sentiment que la vie des femmes trans est invivable. La fabrique de la transphobie explique pourquoi des personnes cis demandent à des femmes trans d’écrire des articles d’opinion sur leurs chattes à venir, en travaillant pour un agenda qui nous éjecte de force de la catégorie des humains vers la catégorie du monstrueux et du construit. Résister à la pratique de la transphobie est un travail que la plupart des femmes trans doivent faire, bien que certaines femmes trans semblent échapper au pire grâce à des choses comme la richesse, la blanchité, le privilège d’avoir la peau claire, et l’accès aux ressources institutionnelles.

Les gens semblent penser que se faire opérer et avoir une chatte est une sortie de secours face à la transphobie. Ce n’est pas le cas. La transphobie est une façon de voir les femmes trans qui refuse la réalité pour y superposer des hypothèses accablantes. Pour la transphobie et ses adeptes, ma chatte n’est qu’une bite mutilée. Ma chatte ne sera jamais réelle parce que je ne le suis jamais, une chose que mes nouveaux partenaires me rappellent fréquemment.

Les mecs aiment me demander si mon vagin est normal, comme s’il y avait un vagin normal. Comme si tous les vagins se ressemblaient. Comme si le normal était quelque chose de bon pour nous, quelque chose vers lequel on devrait aspirer. Ce qu’ils me demandent vraiment, c’est si mon vagin va leur faire prendre leur pied. Seront-ils capables d’oublier que, sous eux, il y a un travelo ? Peuvent-ils s’émerveiller de voir à quel point c’est presque comme un vrai ? Ma chatte est toujours l’idée de quelqu’un, un concept plutôt qu’un morceau de corps.

J’étais dans une mauvaise relation avec un mec cis avant de me faire opérer. Il avait quelques idées à propos de mon vagin et de ma féminité. On est sortis ensemble du début de ma transition jusqu’à trois mois après mon opération. Si je suis honnête avec moi-même, une partie de mon désir de recourir à cette opération consistait à lui prouver que j’étais enfin une femme. Admettre que j’ai eu cette opération – en partie – à cause de lui est terrifiant, parce qu’une des attaques transphobes les plus courantes et que j’ai l’habitude entendre veut que j’aie transitionné pour me faire baiser par des mecs « hétéros ».

Il est impossible pour les femmes trans d’échapper à notre image populaire d’imposteurs, de contrefaçons, de pervers qui tentent d’attirer les hommes vers leur ruine sexuelle. Du Rocky Horror Picture Show à The Crying Game, les filles trans sont cataloguées comme des traîtresses aux mœurs légères et sexuellement agressives. Nous ne sommes presque jamais montrées comme désirables ou pouvant être aimées. La combinaison d’un intense stigma social et de récits profondément transphobes autour de nos intimités nous rend vulnérables aux violences intimes, à la honte et au rejet. Si notre intimité et notre amour sont vues comme monstrueuses, est-il vraiment surprenant que nos corps soient aussi vilipendés comme des plaies permanentes et suintantes ?

Mon ex m’a répété un truc particulièrement cruel et transphobe – que son désir / sa bite / sa masculinité me légitimait en tant que femme – tout au long de notre relation. Mes derniers mots pour lui furent « ta bite ne fait pas de moi une femme », mais je ne peux nier qu’une partie de ma transition a consisté à me pousser à être plus féminine, en espérant qu’il finirait par me considérer comme l’égale des filles cis. J’ai rapidement été opérée, établissant un nouveau record pour l’obtention des autorisations, parce que je voulais être entièrement moi-même dans l’espoir d’être digne de son amour.

Les filles trans sont souvent prises entre deux feux dont nous ne pouvons nous échapper sans perdre notre humanité. Son jugement sur ma féminité était violent mais convaincant. Il dit une vérité cruelle pour cacher un mensonge plus cruel encore. Quand il m’a dit que le fait que lui me baise me légitimait en tant que femme, il n’avait pas tout à fait tort. Être désirée et aimée par les gens que tu désires et aimes est légitimant. Ça te dit que tu as de l’importance et que tu vaux bien quelque chose. Vouloir que les gens que tu aimes le plus te permettent de t’affirmer n’est pas pathologique : ce n’est pas une preuve de l’artificialité de de ma féminité, mais une preuve du fait que je ne suis qu’une fille ordinaire, humaine et imparfaite comme tout le monde.

Lui n’était pas original dans son évaluation de mon désir et de ma féminité. Les hommes cis ont une longue histoire de contrôle du corps des femmes pour leur plaisir. Ils aiment jouer avec nos corps pour se sentir temporairement puissants, déplaçant leurs insécurités en nous attachant et en enfonçant leurs bites dans nos bouches. Je ne vais pas prétendre que je n’aime pas, de temps en temps, me sentir impuissante face à des hommes, enfin autorisée à me libérer des soins et de la politesse. Le danger quand on abandonne son corps à un homme réside dans le fait qu’ils oublient souvent que nos corps ne sont pas qu’un objet, mais aussi l’espace dans lequel nous vivons.

On ne peut pas séparer le désir des hommes de contrôler le corps des femmes de ce qui arrive aux femmes trans et de notre accès aux opérations de confirmation du genre. Il y a une longue histoire d’hommes médecins et psychologues se prononçant sur quelle femme trans aura droit à l’opération. Jusqu’à très récemment à Toronto, un des critères clés de l’éligibilité à la chirurgie utilisé par la seule clinique habilitée était l’apparence extérieure d’une femme trans. Notre féminité physique et notre attractivité étaient utilisés comme d’importantes considérations pour savoir si, oui ou non, nous étions des candidates appropriées pour la chirurgie. Cet héritage vit encore. En 2018, quand j’ai soumis mon dossier à mon chirurgien pour qu’il l’approuve, j’ai dû inclure une photo de moi, habillée, de plein pied.

En tant que filles trans, nos corps sont le seul espace que nous sommes autorisées à occuper et à appeler nôtre. Quand nous disons que c’est agréable de se faire baiser dans l’espace de nos corps et que nous voulons ressentir du plaisir, on nous dit que nous sommes malades. Mon ex confondait mon genre et mon humanité, croyant que je ne serais jamais une femme et que mes désirs étaient des supplications désespérées pour être reconnue comme la personne que lui seul aurait pu me faire être. La société et ses institutions traitent les filles trans de la même façon. Quand Andrea Long Chu écrit que son opération et sa chatte ne vont pas la rendre heureuse, il est révélateur qu’elle doive d’abord abandonner toute possibilité de plaisir et de joie avant de pouvoir gagner le droit d’affirmer que les femmes trans devraient avoir le contrôle de leurs corps.

Je ne savais pas pourquoi je voulais l’opération. Ma chatte n’est pas ce que je pensais vouloir. C’est plus que ce que je voulais. Les vies des filles trans sont impossibles à expliquer parce que nous n’avons pas encore arrêté de les vivre. Nous sommes prises dans la double impasse qui consiste à essayer de rester en vie quand tout le monde nous demande de justifier notre droit de vivre, alors que personne ne peut s’expliquer pleinement. On ne devrait pas exiger des filles trans des descriptions de nous-mêmes qui sacrifient notre humanité pour prouver notre genre. Nous devrions être autorisés à vivre à notre manière, selon des vérités que seuls les morts connaissent.

J’aimerais pouvoir expliquer pourquoi ce que me disait mon ex me blessait autant. Ce n’était pas juste qu’il refusait de voir mon genre comme autre chose qu’une maladie, ou bien qu’il ne pouvait comprendre mon désir autrement que comme une menace envers sa sexualité et sa masculinité. À ce moment-là, nos corps emmêlés sur mon canapé et sa main traçant une ligne de ma joue jusqu’à mes lèvres, il me disait que je ne pourrais jamais être autant humainE que lui. Mon amour et mon désir étaient juste des symptômes de ma « maladie ». Je ne pouvais être une femme sans admettre avant tout que j’étais malade, et que j’avais besoin de quelqu’un – un homme, un docteur, sa bite – pour me guérir.

Je n’avais pas besoin de sa validation pour être une femme, tout comme je n’ai pas besoin de t’expliquer ma vie. Mon corps n’est pas un argument théorique unifiant les complexités disparates qui constituent l’existence d’une fille trans. Mon désir n’est pas une maladie. L’opération ne m’a pas rendue plus « femme » et ne m’a pas garanti le bonheur permanent. Ma chatte n’est pas une plaie. C’est juste une putain de chatte.

Et c’est tout ce qu’elle devrait être.

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Un mec m’a dit un jour que jouir en moi revenait à jouir dans une impasse. Ses mots m’ont marquée. Ma chatte est une impasse parce que c’est un trou qui mène nulle part. Elle n’a pas de but comme les vagins des femmes cis. Je ne peux pas tomber enceinte. Il y a cependant des problèmes évidents avec le fait de voir mon vagin comme une impasse. Tout d’abord, il te faut être persuadéE que toutes les femmes cis peuvent tomber enceintes et que l’unique but d’un vagin est soit le plaisir [cis]masculin, soit la reproduction. Plus important encore, il te faut ignorer mon plaisir et les façons dont mon corps ne peut être réduit à un substitut pervers.

Qu’est-ce qu’il y a de mal avec le fait d’être une impasse ? Une impasse est un lieu où les routes disparaissent et ses logiques se désintègrent. Les impasses marquent souvent la frontière entre le sauvage et l’apprivoisé, les piémonts des montagnes ou les derniers bosquets d’arbres avant la banlieue. Aux impasses, tu es forcéE de descendre de ta voiture, de te demander comment tu es arrivéE là, et de réfléchir à où tu veux aller. Ce sont des instants de possibilité et de chance, qui brisent la productivité sans relâche du capitalisme.

Je veux célébrer les impasses. Mon vagin est un détour qui ne mène nulle part de productif. Ma chatte est l’endroit où les routes disparaissent. Je veux parler de la façon dont les trous sont géniaux. Je veux un trophée pour être arrivée deuxième. Mon vagin n’a pas besoin d’être parfait pour être réel. Je n’ai pas à te faire jouir si fort que toutes les filles cis seront pour toujours effacées de ton esprit. C’est normal si je suis un peu moyenne, un peu paumée, cette chose qui n’essaie pas d’être un tout. Tout au long de ma vie, les espaces qui ont eu le plus de sens pour moi étaient ceux où personne ne voulait être dedans.

Pour moi, ce sont les autres mondes qui rendent ce monde vivable. Les impasses sont des lieux où je trouve mon pouvoir, où je rassemble ma volonté, et où je me guéris de la violence d’être rejetée dans le sous-humain par des forces qui seront toujours plus grandes que moi. Je crois dans le subalterne comme mode de vie, comme façon de refaire le monde qui se démarque des constructions et des frontières du monde dominant. Ce n’est pas une théorie sur la façon d’être une fille trans, mais une pratique.

Je veux imaginer une éthique de la vie en tant que fille trans, une façon d’être une prière faite corps plutôt qu’une identité. Si ma chatte est une impasse, sa bite est une arme qui essaie de me tuer. N’est-ce pas miraculeux que je ne meure pas ? Ma chatte n’est-elle pas puissante dans son refus d’être autre chose que ce qu’elle est ? N’est-il est étrange qu’une plaie ouverte censée ne jamais guérir puisse être un puits de plaisir et d’expérience ? Appelez-moi moi déesse et vouez moi un culte, vous mes amantEs fidèles et sans cœur.

J’espère qu’Andrea Long Chu écrira un autre article d’opinion post-chirurgie sur les joies de la masturbation avec son nouveau vagin, mais même si elle ne le fait pas, ses descriptions de nos vagins comme des plaies qui ne guérissent pas ne pourront pas effacer les nombreuses expériences de filles trans comme moi qui trouvons en nos chattes du plaisir et de la joie. Plus important encore, je rêve d’un public cis qui n’attendrait pas, ou ne permettrait pas, qu’une seule femme trans parle pour nous toutes. Il y a sans doute un moyen de sortir des explication et de simplement vivre sa vie pour les filles trans, mais je ne sais pas comment on le trouver.

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Trois mois après mon opération, j’ai eu mon premier orgasme. J’avais fait des rêves érotiques avant cela, des hallucinations vivantes de mon ex me baisant qui me réveillaient et me laissaient stupéfaite par la forte excitation dans mon clito, pourtant mon premier orgasme fut une surprise. J’avais un rencard avec un grand mec blond qui oscillait entre bravade attachante et désir grégaire. Il me baisa par petites attaques soudaines. C’était le genre de sexe que je qualifierais normalement de « mauvais ». Et puis c’est arrivé..

Mon vagin a convulsé autour de sa bite. Ça ressemblait à des crampes musculaires, le genre de sensations que j’avais d’habitude dans mes mollets quand je courais des marathons. Tremblant sous lui, j’attrapais ses épaules et enfonçais mes ongles dans son dos, poussant mon corps contre le sien. Je ne sais pas trop pourquoi j’ai fait ça. Ça ressemble à ce que les filles font dans les pornos, mais la crampe était agréable et je voulais me rapprocher de ce plaisir. Je voulais me pousser en lui comme lui s’était enfoncé en moi. Mon vagin, tout neuf et confus, entraîna le reste de mon corps, trébuchant dans l’orgasme.

J’ai réalisé que j’avais joui par l’humidité coulant entre mes cuisses. Ma peau me paraissait trop sensible. Je ne me souviens pas de si j’ai fait du bruit ou pas, mais si j’en ai fait, ça aurait été une seule inhalation puissante. Il ne le remarqua pas. Après trois minutes supplémentaires de ses ennuyeuses poussées dans mon corps, il s’arrêta et me demanda de le finir avec la bouche. Je levai les yeux au ciel mais épluchai la capote de sa bite. Faire jouir des mecs avec ma bouche est une habitude, inchangée avant et après l’opération. Il jouit dans ma bouche et je me levai vers la salle de bain pour cracher sa semence. Les mecs n’aiment pas que l’on fasse ça, mais je n’avale qu’avec les mecs que j’aime bien.

Après son départ, je me suis allongée sur le lit, et j’ai posé mes doigts sur mon clito. J’ai suivi le contour de mes lèvres et l’ouverture de mon vagin. J’essaye de me souvenir des sensations de l’orgasme, d’où il avait commencé dans mon corps. Je rejoue dans ma tête le film de lui me baisant. En prenant soin de mon clito, et encore trop inquiète de blesser mon vagin convalescent, je me masturbe jusqu’à retrouver mon orgasme. Cette fois, je le sens venir et je suis prête à plonger dans le plaisir. Je me dissous un peu quand je jouis.

Je pense, en moi-même, que rien que pour cet orgasme, cela vaut le coup d’avoir fait l’opération. Mon vagin n’est pas tout ce que je voulais qu’il soit ; il est marqué par de petites imperfections qui m’inquiètent dans les moments juste avant qu’unE nouvelLE partenaire ne rencontre mon corps, mais c’est un plaisir qui me permet de me sentir pleinement humaine. Avant l’opération, je ne jouissais pas avec mes partenaires et je ressentais rarement du plaisir seule. Maintenant, mon plaisir est toujours là, recroquevillé entre mes jambes, une envie persistante et une joie certaine.

Je sais que les filles trans n’ont pas le droit de ressentir du plaisir. De vouloir plus que de l’acceptation, de l’empathie, ou de la sécurité. Quand j’ai transitionné, je n’ai jamais cesséd’en vouloir plus. Je n’ai jamais arrêté de désirer le plaisir, me fondant dans le corps de quelqu’un d’autre, me laissant être prise en main. Une cigarette de plus, un autre verre de vin. Un garçon dans la demi-lumière du soir, sa main enlevant les cheveux de mes yeux. Une fille, près d’une rivière sombre, ses lèvres contre les miennes, fleurissante.

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Je sais que la libération trans ne viendra pas de la théorie ou d’articles d’opinion dans des publications prestigieuses. Comme Martha P. Johnson l’a un jour écrit sur une pancarte, « descendez de votre tour d’ivoire et venez dans la rue. » Je prends ces mots comme un appel à une action révolutionnaire contre les forces qui nous oppriment, mais aussi comme un rappel que les filles trans ont toujours vécu dans les marges pleines d’espoir de la rue.

Nos vies et nos politiques sont nées d’un autre lieu. Nous n’appartenons pas à l’état-nation et nous ne pourrons jamais être ses citoyenNEs, peu importe la futilité de ses engagements à nous offrir la justice et la sécurité. Nos corps sont des ruelles et des portes de derrière, des bars faiblement éclairés et remplis de fumée qui résonnent avec le claquement de nos talons hauts et sont marqués des graffitis de nos exploits. Nous sommes forcées de dire qui nous sommes aux policiers, aux journalistes, et aux psychiatres, mais ils nous « aident » seulement quand on leur dit ce qu’ils veulent entendre.

Alors bien sûr, nous mentons. Nous mentons si merveilleusement que nos histoires sont presque aussi puissantes et grandes que les mensonges qu’elles disent sur nous. Nos mensonges nous gardent en vie. Nos mensonges construisent des communautés à partir du néant de la colonisation et s’étendent à travers la diaspora, le génocide et les déchirements. Nos mensonges sont des prières les unes pour les autres. Ils se font chair, construisent des corps, deviennent un ordre second de dénomination. Nous sommes les filles de personne et de tout le monde en même temps.

Comme Saidiya Hartman l’écrit dans son essai The Terrible Beauty of the Slum, les rues où les filles trans se rassemblent et ragotent pendant les pauses cigarettes sont des espaces où « personne ne s’installe jamais… on y reste un peu, en attendant mieux, et on part ; au moins on l’espère. » Peut-être qu’Andrea Long Chu n’avait pas réalisé que vivre en tant que fille trans voulait dire s’installer de façon permanente dans la maison du sous-humain. Peut-être qu’elle pensait que sa transition serait une façon de quitter la rue et de gravir les tours qui se dressent au-dessus de nos corps.

Je ne sais pas ce qu’elle croit, mais je peux dire cela : il n’y a pas de voie de sortie hors de la rue des filles trans. Les rues sont des lieux où nos histoires prennent place. La joie vit ici et avec nous. Le plaisir et la rage se mêlent dans le caniveau. Il y a des étoiles au-dessus des lumières de la rue, même si on ne peut pas les voir pour l’instant, aveuglées par l’éclat des immeubles et d’un millier de voitures hurlantes. L’opération ne te rendra pas plus heureuse, parce que rien ne peut te rendre heureuse.

Et pourtant, ma chatte est mon plaisir, et elle me rend mon humanité. Réparant les blessures du monde, me soudant à nouveau à la joie. Elle me pousse, électrique et douloureuse, au-delà des limites de la douleur dans les rues de cet autre lieu qu’on appelle l’être. Il n’y a pas de bonheur simple dans les rues des filles trans. Il y a bien plus.

On appelle ça « la vie. »

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Notes de l’autrice :

sur le langage :

J’utilise « chatte » dans cet essai pour parler de mon vagin. C’est un choix individuel de langage qui reflète comment moi et mon entourage parlons de mon corps, mais je reconnais que l’on peut utiliser d’autres mots et que « chatte » demeure un terme problématique pour beaucoup. En me fondant sur mes propres décisions politiques autour du langage, ce mot reste celui avec lequel je suis le plus à l’aise en dehors d’un contexte médical.

J’utilise « fille trans » comme un terme court et inclusif pour les corps transgenres, transsexuels, et certains corps transféminins, mais je reconnais qu’il y a de nombreuses et diverses expressions des vies trans et que toutes ces expressions sont légitimes. Je n’écris que depuis ma propre expérience et j’utilise le langage avec lequel je suis le plus à l’aise, mais mon point de vue ne reflète pas toute l’étendue des expériences corporelles trans.

sur les opérations :

Personne n’a besoin d’avoir une opération pour être une personne trans légitime. Faire une opération peut être important pour certainEs d’entre nous, mais pas touTEs. J’ai eu une relativement bonne expérience avec la chirurgie et un résultat qui me rend heureuse. Mon opération a été effectuée par un chirurgien très expérimenté dans une clinique de renommée mondiale, couverte – en partie – par l’assurance de santé locale. D’autres personnes trans peuvent avoir d’autres expériences avec l’opération et ses résultats. Je ne parle que de mon expérience et je reconnais explicitement qu’il n’y a pas qu’un seul «récit d’opération ».

sur le privilège :

Je suis une femme trans à la peau claire avec un accès étendu au soutien institutionnel et à des ressources qui ont influencé a) ma capacité à avoir accès à l’opération et b) le résultat que j’en ai eu. Le privilège a un rôle important sur beaucoup des sujets étudiés dans cet essai : accès à l’opération, qualité du soin médical, désirabilité, ressources financières et sociales, et résilience. Il est important de placer l’accès à diverses formes de privilège comme un facteur important du bien-être des femmes trans, facteur qui n’est souvent pas reconnu ni inclus dans les discussions subtiles sur les vies trans.

gwen

Gwen Benaway est une fille trans d’origine anishinaabe et métisse. Elle est l’une des autrices trans les plus publiées au Canada, avec trois recueils de poésie et deux ouvrages à venir : un recueil de poésie, Aperture, et un recueil d’essais, Trans girl in love, en 2020. Elle est doctorante au Women and Gender Studies Institute de l’Université de Toronto et toujours prête à auditionner de nouvelles amantEs féministes queer polyamoureuxes.

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